La fondation néerlandaise Toxico Watch spécialisée dans la biosurveillance révèle dans un rapport paru le 7 février dernier, la présence de dioxines, des résidus de déchets toxiques, à des niveaux trop élevés (hors normes européennes) dans la zone du plus grand incinérateur de déchets d’Europe à Ivry (Val-de-Marne) jusqu’à Paris dans le 12e arrondissement. Daniel Hoffnung, ancien ingénieur du bâtiment à la retraite, a participé avec le Collectif 3R (à l’initiative du rapport) aux prélèvements des œufs, des feuilles de conifères et des mousses réalisés dans un cercle d’un kilomètre autour du site. L’étude remet en cause, sur la base d’analyses plus poussées, les chiffres rapportés jusqu’alors par le géant de l’eau Suez, l’exploitant de l’usine. Une réunion d’urgence a été demandée depuis par les élus de Paris qui ont convoqué le gestionnaire du site Sytcom.
Daniel Hoffnung se rend compte qu’il n’y a aujourd’hui qu’une seule des deux torches de l’usine qui fonctionne. Une seule dégage cette épaisse fumée blanche que ce retraité, arrivé à Ivry en 1977, connaît bien. « Ces fumées contiennent beaucoup de vapeurs d’eau, elles ont été traitées, “dépolluées” », explique-t-il. Daniel Hoffnung, la septantaine, habite à 600 mètres du site. Ici sont brûlés/valorisés 700 000 tonnes de déchets chaque année provenant de 13 arrondissements et 14 communes de la petite ceinture. L’ingénieur à la retraite fait aussi partie du Collectif 3R (Réduire, Réutiliser, Recycler), créé il y a plusieurs années par des militant.e.s des Amis de la Terre, Zéro Waste France, ATTAC, etc. Avec les membres du collectif, Daniel Hoffnung a participé à la traduction du rapport et à la collecte des échantillons qui s’est déroulée une journée en juin 2021 pour l’étude.
D’où est partie l’idée de cette étude ?
Ça fait des années qu’avec le collectif 3R (réduire, réutiliser, recycler) nous examinons le dossier d’information du public qui est établi par l’exploitant de l’usine qui est Suez actuellement. Plus exactement c’est sa sous-filiale Ivry-Paris XIII1. Le rapport disait que tout allait bien. C’est-à-dire que les gaz étaient à des taux inférieurs aux limites réglementaires. Mais leur méthode se basait sur des analyses suivant l’axe des vents dominants qui va du sud-ouest au nord-est de Paris. Dans leurs analyses, le taux de dioxines trouvés dans les mousses et lichens était très bas. La méthode d’analyse de Toxico Watch est intéressante. Elle permet de mesurer la pollution, en l’occurrence les dioxines, mais aussi les PCB-« dioxin-like » (les polychlorobiphényles) qui sont aussi des polluants très dangereux. Tout ça fait donc finalement beaucoup plus que ce que donnait l’exploitant.
Au niveau des concentrations de dioxine retrouvés dans les jaunes d’œufs ?
Oui entre autres. Dans les œufs c’est intéressant parce qu’ils concentrent les polluants. Ils vont rentrer dans l’organisme des poules qui vont les absorber en mangeant des choses contaminées qui s’éliminent très mal. Ça se concentre ensuite dans les tissus de l’animal ou évidemment, dans nos tissus. Et l’endroit où ça se stocke essentiellement, c’est dans les parties grasses. Dans le jaune d’œuf, Toxico Watch a trouvé des taux de dioxines qui sont très supérieurs à ce qu’on attendait.
Avez-vous un ordre de grandeur ?
En fait, ils ont pris le barème qui est la norme que donne l’Union européenne pour qu’un aliment soit commercialisable. Ils ont constaté que le seuil de taux de dioxines était dépassé. Il y a eu des prélèvements dans 5 poulaillers à Ivry, 2 à Alfortville (94), 1 à Paris dans le 12e. 2 poulaillers, qui est en réalité un poulailler double, étaient corrects au niveau des normes. Tous les autres sont pollués. Mais à un point effarant. C’est-à-dire qu’ils ont fait des analyses séparées pour les dioxines et un certain nombre de PCB-« dioxin-like » (des polluants organiques persistants) et 2 poulaillers sont à 10 fois le taux maximum autorisé.
Comment sait-on que ça vient spécifiquement du site d’incinération d’Ivry ?
La fondation Toxico Watch est consciente que ça pose problème. Ils ont employé une méthode qui est d’analyser la répartition des dioxines. On ne va pas pister les parcelles de dioxines. Une dioxine c’est une série de composés organiques qu’on appelle les « congénères ». Et certains « congénères » ont déjà été analysés comme étant dominants dans les fumées des cheminées de l’incinérateur de Harlingen aux Pays-Bas lors d’une première étude qu’a faite Toxico Watch. En résumé, ils ont trouvé des dioxines qui sont représentatives de l’incinération des ordures. C’est un petit peu la même chose qu’on retrouve principalement dans les œufs à Ivry, à Alfortville et Paris 12e. Après avoir fait l’analyse séparée, dioxine par dioxine. C’est très pointu. Ce n’est pas une preuve mais une présomption.
À partir de ce rapport et de cette présomption, va-t-il y avoir une suite ?
Il y a déjà une suite puisque le maire d’Ivry, Philippe Bouyssou, et l’adjointe au maire de Paris chargée de la gestion des déchets, Colombe Brossel, ont fait une lettre au président du Sytcom, le Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères pour demander une réunion extraordinaire du conseil syndical (l’instance où sont représentées les différentes villes qui gèrent le syndicat sur cette question). La ville de Paris a demandé à ce que cette réunion se déroule en présence de représentants de Toxico Watch. Ils vont être confrontés à une réalité qui n’est pas celle que leur livrait l’exploitant Suez.
1 L’usine mise en service à partir de 1969, est exploitée par la société Ivry-Paris XIII, une sous-filiale de Suez et est propriété de Sytcom, l’agence métropolitaine de traitement des ordures ménagères.
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